« (…) ça y est, on est sur le point d‘adopter de nouvelles mesures antijuives, semble-t-il : interdiction d‘acheter chez les marchands de fruits et légumes, réquisition des bicyclettes, interdiction de prendre le tram, couvre-feu à huit heures. »
12 juin 1942
« Nous n‘avons plus le droit de nous dégourdir les jambes sur la Promenade du Sud, le moindre groupe de deux ou trois arbres a été rebaptisé « bois » et porte un écriteau «Interdit aux Juifs. »
22 mars 1942
« Mais au-dessus de ce bout de route qui nous reste ouvert, le ciel s‘étale tout entier. On ne peut rien nous faire, vraiment rien. (…) On a bien le droit d‘être triste et abattu, de temps en temps, par ce qu‘on nous fait subir ; c‘est humain et compréhensible. Et pourtant, la vraie spoliation c‘est nous-mêmes qui nous l‘infligeons. Je trouve la vie belle et je me sens libre. En moi des cieux se déploient aussi vastes que le firmament au-dessus de moi. (…) La vie est difficile mais ce n’est pas grave. Il faut commencer par prendre au sérieux son propre sérieux, le reste vient tout naturellement. «Travailler à soi-même», ce n’est pas faire preuve d’individualisme morbide. »
20 juin 1942
L’image du ciel est une métaphore itérative dans l’œuvre d’Etty Hillesum, l’étendue du ciel symbolisant la liberté. Dans le même sens, sa vision d’une dichotomie entre un monde intérieur et un monde extérieur constitue un élément déterminant dans son univers métaphorique. Ces deux mondes ont non seulement beaucoup de points communs, mais ils interagissent également l’un avec l’autre. Cette conception est présente aussi dans l’illustration « Ecouter au-dedans » : Etty compare les hommes à des maisons, dans lesquelles on peut entrer, des maisons avec des portes, des chambres et des couloirs ouverts.
Pour l’illustration « Ciel », j’ai tenté d’exprimer cette imbrication du monde intérieur et du monde extérieur dans la pose d’Etty : ses bras tendus et ouverts vers le haut renvoient au ciel au-dessus d’elle, ses yeux fermés au ciel en elle. Par ailleurs, l’illustration montre Etty au milieu du monde – un monde où les Juifs font de plus en plus l’objet de mesures vexatoires – et par là-même faisant partie de ce monde. Le dessin du personnage d’Etty prend sa source en-dehors de la feuille, exprimant ainsi l’indépendance qu’Etty a conquise par rapport au monde extérieur et pour laquelle elle se bat. L’inspiration pour ce dessin m’est venue d’un autre passage de son journal où elle se compare à un Juif errant entouré d’un nuage, composé de ses propres pensées et sentiments, qui l’enveloppe et qui l’accompagne, et dans lequel elle est au chaud, comme enlacée et à l’abri.