« La nuit, étendue sur mon châlit au milieu de femmes et de jeunes filles qui ronflaient doucement, rêvaient tout haut, pleuraient tout bas et s‘agitaient, les mêmes qui affirmaient dans la journée : « Nous ne voulons pas penser », « Nous ne voulons pas sentir, sinon nous allons devenir folles », j‘étais souvent prise d‘un attendrissement infini et je demeurais éveillée, laissant défiler devant mes yeux les événements et les impressions toujours trop longue, et me disant : (…) Je voudrais être le cœur pensant de tout un camp de concentration. »
13 octobre 1942
Dans la description qu’elle fait d’elle-même et de son rôle au sein du camp, Etty emploie le terme de « cœur pensant ». Ces deux mots pris ensemble illustrent à mon sens de manière très forte la manière dont elle tente d’aider les autres détenus, à la fois au niveau intellectuel (= pensant) et au niveau émotionnel (= cœur). Ils soulignent aussi son sens des responsabilités très développé. À plusieurs reprises, elle refuse des propositions de fuir dans la clandestinité, ce qui lui aurait permis d’avoir la vie sauve. De même, elle démissionne d’un poste d’employée de bureau au sein du Conseil juif d’Amsterdam après seulement deux semaines. En effet, dans ses notes, elle appelle cet endroit un « enfer » : « La collaboration apportée par une petite partie des juifs à la déportation de tous les autres est évidemment un acte irréparable. Un, jour, l’Histoire aura à en juger » (Hillesum p. 709). Suivant sa requête, elle sera employée par le Conseil juif comme assistante sociale au camp de regroupement et de transit de Westerbork. Les Juifs qui ont été internés avec Etty à Westerbork et qui ont survécu, racontent qu’elle a été, pour beaucoup de gens, une véritable lueur d’espoir.
Les mots « Je voudrais être le cœur pensant de tout un camp de concentration, », Etty les écrit alors qu’elle se trouve au camp de regroupement et de transit à Westerbork, par conséquent avant sa déportation du 7 septembre 1943. Dans l’illustration, j’ai choisi de projeter ce désir dans ce qui sera son avenir : on voit Etty avec d’autres femmes dans le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Son doigt, celui qui a tenu le stylo pendant la rédaction de son journal intime, tire sur le fil d’une toile d’araignée – un nouvel emploi de la métaphore fondamentale de l’araignée (cf. commentaires par rapport à l’illustration « L’araignée et sa toile »).
Lors de mes recherches photographiques, j’ai remarqué à quel point les têtes des femmes détenues étaient rasées de manière arbitraire et peu soigneuse. Sur ces têtes, rasées en partie à blanc, j’ai pu voir ça et là des touffes de cheveux qui étaient restées. Pour moi, il s’agit d’un détail, mais qui en dit long sur l’absence totale de respect et sur l’humiliation allant de pair avec cet acte exécuté à la chaîne. À plusieurs reprises, Etty compare les circonstances de la vie des Juifs à celles des rats. Le symbole du rat est, quant à lui, repris dans les illustrations « Vers l’est » et « Liberté ».