L’araignée et sa toile

« Je veux connaître ce siècle, du dehors et du dedans. Je le palpe chaque jour, je suis du bout des doigts les contours de notre temps. (…) Je me confronte à tout ce qui croise mon chemin. J‘en ai parfois l‘impression de m‘écorcher vive. On dirait que je me jette partout tête la première, de toutes mes forces, pour ne récolter que plaies et bosses. »

4 septembre 1941

« Je voudrais vivre longtemps pour être un jour en mesure de l’expliquer; mais si cela ne m’est pas donné, eh bien, un autre le fera à ma place, un autre reprendra le fil de ma vie là où il se sera rompu, et c’est pourquoi je dois vivre cette vie jusqu’à mon dernier souffle avec toute la conscience et la conviction possibles, de sorte que mon successeur n’ait pas à recommencer à zéro et rencontre moins de difficultés. N’est-ce pas une façon de travailler pour la postérité? »

3 juillet 1942

« Je vais essayer de vous décrire comment je me sens (…). Quand une araignée tisse sa toile, elle lance d‘abord les fils principaux, puis elle y grimpe elle-même, n‘est-ce pas ? L‘artère principale de ma vie s‘étend déjà très loin devant moi et atteint un autre monde. On dirait que tous les événements présents et à venir ont déjà été pris en compte quelque part en moi, je les ai déjà assimilés, déjà vécus et je travaille déjà à construire une société qui succédera à celle-ci. »

3 juillet 1943

Ces citations montrent bien la manière qu’a Etty de se constituer en témoin d’une époque et en messagère pour les des générations futures. En effet, elle pense les problèmes de son époque comme des phénomènes pouvant trouver un sens dans d’autres contextes nationaux, culturels et religieux. C’est pourquoi dans la description de son développement personnel, Etty aborde non seulement l’histoire de la Shoah mais surtout les valeurs universelles. Etty tente d’expliquer ce qui la pousse à écrire un journal intime à l’aide d’une image : elle compare son travail à celui d’une araignée tissant sa toile. Les images d’araignée et de toile ont habituellement une connotation négative, symbolisant la menace, le piège, le danger d’être capturé. Or, dans l’univers métaphorique d’Etty Hillesum, la valeur de ces images se déplace : l’araignée est vue comme créatrice et productrice, comme un architecte ou un artisan, d’une œuvre (de pensée). Etty nourrit l’espérance que les enseignements qu’elle note dans son journal intime pourront constituer une passerelle vers un autre monde. Avec son journal, elle veut lancer un fil dont les générations futures pourront se saisir, afin que son legs spirituel puisse, au-delà de sa propre existence, servir de point d’ancrage à l’établissement d’une société meilleure. Cette comparaison qu’Etty établit d’une part entre elle-même et une araignée et d’autre part entre son journal intime et une toile d’araignée est devenue pour moi une métaphore fondamentale, qui traverse – comme un fil (d’araignée) rouge – la présente série d’illustrations et que l’on peut déceler à plusieurs reprises (-> les illustrations « Peur », « Un bouquet de roses », « Vers l’est », « Le cœur pensant », « Avenir »).

Les visages situés en haut à droite de l’illustration sont inspirés d’esquisses, comme on peut en trouver dans l’original des journaux intimes

Impressions d’art „Giclée“ sur toile (Fine-Art Print)
Illustration et commentaire de Roman Kroke
(Photo©Roman Kroke)