(Photo©Seuil, Les écrits d’Etty Hillesum Journaux et lettres 1941-1943 )
On a découvert l’existence Etty Hillesum, jeune femme juive prise dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale, à travers son journal et ses lettres rédigés en partie dans les camps entre 1941 et 1943. Un testament historique et spirituel où la jeune femme nous parle de sa foi en la vie et en l’homme, dans un contexte où tout porte à la désespérance.
Ce journal, elle l’a commencé à la demande de Julius Spier, un psychothérapeute disciple de Jung. Etty avait alors 27 ans. De Spier, elle dit qu’il est « l’accoucheur de son âme », et s’interroge sur la meilleure façon de l’aimer, avec à l’horizon la perspective de la déportation, tandis que les mesures antijuives se font de plus en plus dures. À Amsterdam où elle a étudié le droit et les langues slaves, elle fréquente des milieux sionistes, antifascistes et évolue dans un cercle intellectuel et artistique bohême.
Elle nous livre un document qu’il ne faut pas simplement lire comme un écrit sur la Shoah. C’est beaucoup plus que ça. Si les faits historiques, l’occupation allemande, la vie dans le camp de Westerbork où elle sera internée sont la toile de fond de son journal, c’est surtout l’histoire de la métamorphose d’un être, dans des circonstances d’ailleurs éminemment défavorables.
Etty est une jeune femme libre, prête à bien des audaces, passionnée, amoureuse de la vie, à la recherche d’elle-même, la tête un peu « à l’envers » et qui vit dans un véritable chaos. Et puis il y a cette métamorphose d’Etty Hillesum en une femme suprêmement mûre, dans tous les sens du terme. Extrêmement confiante à la fois de ses dons, de ses capacités, de son talent politique et d’écrivain, et en même temps de ses responsabilités au sein de la communauté. Les Juifs qui ont été internés avec Etty à Westerbork et qui ont survécu, racontent qu’elle a été, pour beaucoup de gens, une véritable lueur d’espoir.
Comment des circonstances qui apparemment bloquent notre épanouissement et notre développement ont ici, au contraire, suscité l’émergence de cette personnalité tout à fait hors du commun ?
C’est ce que ces CITATIONS de son journal vont nous faire découvrir. Elles sont illustrées par des dessins de l’artiste ROMAN KROKE de l’Université des Arts de Berlin (UdK). Le professeur Klaas A. D. Smelik, partenaire de ce projet, nous en parle…
Professeur Klaas A. D. Smelik
Professeur d’Hébreu et d’Études judaiques, directeur du Centre de recherche Etty Hillesum, Université de Gand (Belgique)
« Lorsque je vis pour la première fois les illustrations que Roman Kroke avait faites à partir du journal intime d’Etty Hillesum, je fus profondément frappé par leur impact émotionnel. Qui plus est, Kroke a su livrer, par ses choix thématiques et ses commentaires d’image, la quintessence de la pensée d’Hillesum. En somme, l’œuvre de Kroke témoigne d’une intelligence profonde de ses journaux intimes. Son travail est unique dans la manière qu’il a de refléter la pensée d’Hillesum. En effet, l’interprétation artistique des écrits d’Hillesum par Kroke se distingue non seulement par une recherche approfondie, mais aussi parce qu’elle se montre à la hauteur de la responsabilité que le sujet impose. Dans son œuvre se lit, en effet, une sensibilité particulière à l’égard de l’Histoire de la Shoah. (…)
La publication de l’œuvre de Roman Kroke constitue une contribution d’importance en ce qu’elle rend accessible les écrits de Hillesum aux générations futures et qu’elle maintient vivante la mémoire de son héritage spirituel. En même temps, son œuvre encourage à repenser la question de savoir comment, dans notre société d’aujourd’hui, nous pouvons travailler à une culture du respect mutuel, à une coexistence pacifique d’êtres humains issus de contextes culturels, religieux, politiques ou ethniques différents. Ce faisant, Kroke met aussi en lumière, dans son œuvre, la conviction fondamentale de Hillesum qu’il existe des « forces obscures » en chacun de nous – une spécificité de la nature humaine que Hillesum nous engage vivement à ne jamais perdre de vue, surtout dans les moments où nous sommes nous-mêmes victimes d’une injustice. »
(Photo©Roman Kroke, atelier interdisciplinaire avec des enfants)